L'itinéraire proposé par cette leçon prend la forme d'une réflexion qui se structure progressivement au gré de l'étude du film Alien, le 8e passager de Ridley Scott (1979).
On va le voir, lire un film n'est pas un exercice moins exigeant que celui consistant à lire un livre. S'il ne confronte pas le "lecteur-spectateur" exactement aux mêmes difficultés que le livre, le film n'en pose pas moins un certain nombre qui leur sont analogues. Les travailler, à partir de l'étude de scènes précises, est alors l'occasion d'acquérir et de consolider une méthode de lecture qui est aussi valable pour les textes.
- Une lecture passive consisterait, d'un film, à ne retenir que le synopsis, le réduisant ainsi à n'être qu'une histoire qui, au surplus, tirerait son intérêt pour le spectateur du rythme et des rebondissements de l'action - tels sont les ingrédients des blockbusters. Or une histoire, c'est d'abord quelque chose qui se noue et se dénoue entre des personnages : plus ceux-ci ont de consistance, grâce à une personnalité qui s'affirme au gré des circonstances qui la mettent à l'épreuve, plus l'histoire sera riche et signifiante. De même, un texte gagnera en profondeur dès lors que le lecteur ne sera pas simplement attentif à son exposition, mais aux concepts qu'il élabore et dont il articule les relations.
- Ensuite, et Aristote le soulignait déjà dans sa Poétique, lorsque nous sommes captivés par une tragédie (cela vaut aussi pour le cinéma, les séries), c'est parce que nous nous identifions aux personnages, reconnaissant dans leurs actions quelque chose de nous-mêmes, rendu plus visible par l'effet grossissant d'une hyperbole. Ne nous y trompons pas: si je ne suis ni un explorateur de l'espace, ni un Alien, ni une machine, n'ai-je pas quelque chose à apprendre sur moi-même à observer ce qui se noue entre des explorateurs de l'espace, un Alien, et des machines ? De la même manière, un texte qui présente un dialogue entre deux personnages au IVe siècle av. J.-C. prendra tout son sens dès lors seulement que je le lirai comme m'apportant un éclairage sur moi-même, ou sur le monde qui m'entoure.
- Dans la réalisation d'un film, ce que l'on nomme la photographie (l'orchestration de la lumière, la balance des couleurs, etc.), le cadrage et la manière de filmer, le montage, la bande-son, sont autant d'éléments constitutifs de ce que le film a à m'apprendre. Par exemple, les films d'épouvante manqueraient leur effet s'ils ne parvenaient pas à poser une ambiance et à donner à pressentir (et par conséquent craindre et en même temps désirer) le surgissement du drame ou de l'horreur. De ce fait, ce que l'on sépare artificiellement comme relevant du "fond" et de la "forme" y est en réalité étroitement solidaire, inséparable même. De la même manière, le rythme de l'écriture, le choix comme l'ordonnancement des termes, celui des exemples ou des images, s'avèrent dans un texte inséparables d'une "thèse" qu'ils contribuent à établir.
- Bien qu'il y ait une objectivité de chaque scène, déposée sur la pellicule du film comme le texte l'est sur le papier ou sur un écran numérique, travailler une scène est tout autre chose que simplement la regarder. La visionner à plusieurs reprises, en y recherchant des éléments permettant d'éprouver des hypothèses d'interprétation, ou d'en formuler de nouvelles, conduit à mesurer que ce qu'elle a à nous dire se construit patiemment, dans une interprétation qui risque des conjectures, revient dessus, butte sur des incompréhensions, est subitement éclairée ou au contraire troublée rétrospectivement par une scène ultérieure. De la même manière, le sens d'un texte se construit progressivement, dans un travail de lecture.
Ce sont autant de points d'attention, pour ne développer que ceux-là, qui demandent à être patiemment éveillés, puis cultivés, pour s'approcher de ce que chaque texte comporte d'énigmatique et de lumineux à la fois.